Souvenirs oubliés :

Il y a quelques semaines, un terrible incendie ravageait un immeuble du 16arrondissement à Paris faisant plusieurs dizaines de mort. Un peu comme la madeleine de Proust, ce tragique évènement ramène à ma mémoire un élément de mon histoire familiale que j’ai mis de côté. Enfant, alors que j’énumérais les noms des nombreux frères et sœurs de mon grand-père maternel, ce dernier m’avoua que, tout jeune, il avait connu aussi une demi- sœur, car son père, Joseph Hamon, avait eu une première femme, avant de se marier avec mon arrière-grand-mère. Mais qu’est-il advenu de cette première femme ? Il m’apprit qu’elle avait péri dans un incendie à Paris avec un de ses enfants.

L’enquête :

Maintenant que ces souvenirs remontent à la surface, ma curiosité me pousse à débuter mon enquête sur ce mystérieux incendie. Mais comment procéder ? Quelles sources consulter ? Quels éléments ai-je de mon arrière-grand-père sur sa vie parisienne ? Les récits familiaux racontent que, jeune homme, il a été livreur de lait à Paris. Maigre élément pour le retrouver. Mais où habitait-il ? Soudain, je me souviens que sur sa fiche de recensement militaire, que j’ai retrouvée il y a quelques années, sont indiquées les différentes adresses où il a vécu après son recensement. De 1907 à 1913, mon arrière-grand-père a eu 5 adresses différentes à Paris. Par intuition, je choisis de me focaliser sur l’avant-dernière adresse où il a vécu le plus longtemps : le 231 rue du Faubourg Saint-Martin. Mais où avoir des informations sur cet incendie ? Je me dis qu’un tel évènement doit certainement être relaté dans la presse de l’époque. Je décide donc de consulter Gallica, le site de la Bibliothèque Nationale de France. Je tape dans le moteur de recherche « incendie 231 faubourg Saint Martin » et, bingo, apparaissent plusieurs articles relatant l’incendie. Ces articles du Figaro et du Petit Parisien nous content de manière très réaliste les terribles évènements. En voici, le récit :

Le récit du drame :

Une scène dramatique s’est déroulée, dimanche 23 février 1913, vers dix heures du matin, dans un vaste immeuble situé 231, faubourg Saint-Martin. Au deuxième étage d’un bâtiment élevé sur la cour intérieure se trouve un logement habité par la famille Hamon.

Hier matin, M. Hamon, qui est garçon laitier, dut, comme à l’ordinaire, partir de bonne heure. Il s’en alla fermant la porte à clef, laissant sa femme et ses deux enfants, Denise, une fillette de cinq ans, et Jean, un bébé de deux ans, enfermés dans le logement.

Un moment, Mme Hamon, eut à remplir d’essence, une petite lampe. Imprudente, la jeune femme déboucha le récipient renfermant le liquide sans prendre garde que tout près le poêle était allumé. Soudain, une longue flamme jaillit. Affolée, Mme Hamon lâcha le bidon, dont le contenu, enflammé, se déversa sur le plancher. Les flammes gagnèrent le berceau où reposait le petit Jean. En un instant, la pièce fut remplie de flammes. Mme Hamon saisit l’enfant dans ses bras et voulut s’enfuir. Elle se précipita à la porte qu’elle trouva fermée. Ne pouvant trouver sa double clef, perdant la tête, la jeune femme, dont les vêtements avaient pris feu au contact du berceau, courut à la fenêtre, l’ouvrit et appela au secours.

A cet instant, la concierge, Mme Marie Pascal, se trouvait dans la cour. Elle leva la tête. « Le feu est chez moi ! s’écria Mme Hamon. Mes enfants vont périr ». Alors, bravement, Mme Pascal cria à sa locataire : « Lancez-moi votre petit ! Je le recevrai dans mon tablier ! » Et étendant son tablier devant elle, elle s’avança juste au-dessous de la fenêtre.

Déjà Mme Hamon avait saisi son petit Jean. Le couvrant de baisers, elle le porta jusqu’à sa fenêtre et, après avoir longuement repéré l’endroit où il devait tomber, elle le lâcha dans le vide. Fatalité ! Comme le pauvre petit s’abattait dans le tablier de Mme Pascal, les cordons, mal noués, se délièrent, le tablier glissa sur le pavé, où il resta inanimé.

A peine sa mère, qui avait suivi sa chute d’anxiété, l’eut-elle vu gisant à terre, qu’enjambant la balustrade, elle se précipitait à son tour dans la cour. Les locataires, qui étaient accourus, essayèrent de la saisir au passage. La malheureuse tomba lourdement sur les genoux, puis s’affaissa.

Cependant, là-haut, dans le logement que les flammes avaient complètement envahi, la petite Denise continuait à pousser des cris déchirants. La fillette, terrassée par la peur, était incapable de s’enfuir par la porte. N’allait-elle pas elle aussi, se jeter par la fenêtre ? Courageusement, un locataire, M. André Pinget, et un de ses amis, M. Lucien Poujade, résolurent d’aller la sauver. Ils grimpèrent l’escalier, enfoncèrent la porte et, bravant le feu qui faisait rage, ils emportèrent la pauvre petite, qui déjà avait reçu de graves brûlures.

On la transporta à l’hôpital Saint-Louis, où l’avaient précédée sa mère et son jeune frère. L’état du petit Jean fut aussitôt jugé des plus inquiétants. Le bébé avait une double fracture du crâne, et, en dépit des soins qui lui furent prodigués, il succombait quelques heures plus tard. Sa mère, Mme Hamon, née Louise Baillon, s’était fracturé les genoux. Elle décéda au bout de trois jours le 26 février 1913 à l’hôpital Lariboisière.

La petite Denise, orpheline de mère, survit à ses brûlures, mais quitta ce monde en 1919 à seulement 11 ans dans le Loiret auprès de sa famille maternelle.

Son père, Joseph, se remaria un an plus tard à l’été 1914 dans son village de Plouha avec sa cousine issue-de-germain, Maria Richard, juste avant de partir pour le front. Il y fût fait prisonnier par les allemands en Belgique. Libéré après l’armistice, il s’installa en tant qu’agriculteur avec sa nouvelle famille à Plouha.

Leçons apprises de cette enquête :

Mon grand-père n’a vraisemblablement jamais eu le récit détaillé de cet incendie. Il est fascinant de voir qu’aujourd’hui, grâce à la numérisation des vieux journaux, des évènements oubliés peuvent être redécouverts si facilement. La presse ancienne est une source très utile pour en savoir plus sur nos ancêtres. Comme aujourd’hui, il faut évidemment garder un œil critique sur les informations qui y sont reportées. Croiser plusieurs sources aide à en vérifier la fiabilité. Pour mon récit, j’ai repris principalement celui du Petit Parisien, certainement le plus romanesque, avec des ajouts de celui du Figaro, tout en corrigeant, après vérification dans les registres d’états civiles, certaines informations comme les prénoms et âges des enfants qui étaient erronées.

A votre tour à présent de vous plonger dans vos vieux souvenirs et de vérifier si d’anciens événements familiaux ne sont pas contés dans de vieux journaux. 

Catégories : Enquête

4 commentaires

Ponserre Michel · 4 novembre 2019 à 10 h 10 min

Bonjour et bravo pour ces recherches dans la presse ancienne. Tu as raison de publier ainsi des évènements familiaux en indiquant ton cheminement ; aujourd’hui les numérisations entreprises par les administrations et les archives départementales ou nationales permettent à tout un chacun de retrouver son histoire familiale. Pour ma part, dans la presse ancienne parisienne puis aux archives de la Police au Près-Saint-Gervais, j’ai ainsi découvert le passé anarchiste de mon arrière-grand-père maternel ! Ce fut une surprise mais aussi un régal d’aller « fouiner » dans ces vieux papiers et plonger dans cet univers de l’anarchie des années 1870-1909.
Bonne continuation !

    Yann · 4 novembre 2019 à 22 h 13 min

    Merci Michel. L’histoire du passé anarchiste de ton arrière-grand-père maternel doit être passionnante.

B comme Brangelin, lieu d’un curieux double incendie. - Enquête de notre histoire · 2 novembre 2019 à 21 h 34 min

[…] De ces découvertes familiales, je retiens la formidable richesse que constitue la presse ancienne. Elle permet de découvrir de nombreux évènements qui ont ponctué la vie des familles et de faire revivre le temps d’un instant le souvenir de nos ancêtres disparus. J’avais déja eu l’opportunité de découvrir un autre incendie, cette fois-ci plus tragique, chez un de mes arrière-grand-père maternelle (Le dramatique incendie du Faubourg Saint-Martin) […]

H comme Hamon Joseph, le prisonnier de guerre - Enquête de notre histoire · 9 novembre 2019 à 23 h 59 min

[…] J’ai toujours été très curieux. Enfant, j’adorais fouiller dans tous les recoins de la maison en quête de trésor. Un jour, en fouinant dans le buffet de la salle à manger de mes parents, je suis tombé sur une vieille chope de bière allemande. Intrígué par cet objet, j’ai interrogé ma mère qui m’a révélé que cette chope était un souvenir d’Allemagne de son grand-père paternel, Joseph Hamon, dont je vous ai conté les circonstances de la perte de sa première épouse dans l’article «Le dramatique incendie du Faubourg Saint Martin».   […]

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Résoudre : *
20 ⁄ 10 =